Survivre au séisme : témoignage (partie 1)

10 avril 2019 Indonésie 12-12

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Le 28 septembre 2018 un puissant tremblement de terre et un tsunami ont dévasté le nord des Célèbes en Indonésie. Dans certaines régions, le séisme a littéralement provoqué la liquéfaction du sol. C’est un phénomène rare lors duquel le sol saturé en eau se transforme en boue liquide sous l’effet de secousses. Tout le village de Petobo et de nombreux habitants ont été ensevelis. Découvrez l’incroyable témoignage croisé de deux soeurs Nurmin et Nuri (50 et 42 ans) qui ont survécu à la catastrophe.

La famille comprend trois sœurs Nurmin (50 ans), Nur-Ain (45) et Nuri (42). Nurmin a une fille, Riski (22) et deux petits-enfants, Dewi (2ans et 9 mois) et Budi (4 mois).

Les 3 sœurs au camp de Petobo : Nur-Ain, Nurmin et Nuri

 

Interview de Nurmin

Je pleure chaque fois que je raconte cette histoire, chaque fois que j’y pense. J’étais chez moi et je me préparais à prier. Ma petite-fille, Budi* (4 mois), jouait dans la pièce à côté. Soudain, ma fille, Riski, a poussé un cri : « la terre bouge ! » Le sol s’était mis à trembler. Elle a crié à nouveau: « C’est un tremblement de terre!» Et Budi* s’est mise à pleurer. Elle a attrapé le bébé et ma main et nous avons couru vers la porte. Le séisme a été vraiment puissant. Je me suis arrêtée devant la porte, j’avais trop peur de sortir de la maison.

La terre s’ouvrait littéralement sous nos yeux.

 

Il y avait d’énormes fissures. Juste devant notre maison, une crevasse est apparue. Ma fille m’a dit de me dépêcher. Finalement j’ai eu le courage de sortir et de courir, alors que notre maison s’effondrait derrière moi. La maison de nos voisins juste en face avait disparu. Elle venait d’être aspirée dans le sol. Juste devant nous. Les cocotiers se déplaçaient dans notre direction. Nous étions totalement dépassés par les événements. La terre sous nos pieds a commencé à devenir mouillée et collante. Alors nous avons compris que nous devions fuir. J’étais en état de choc et j’ai prié Dieu.

Nous essayions de marcher et de trouver la bonne direction, mais nous ne savions pas où aller. Nous étions tous en train de pleurer et de crier. Les gens se bousculaient et couraient dans toutes les directions. Il nous a fallu de 18 heures à 3 heures du matin pour atteindre la zone de sécurité. Malgré le fait qu’elle soit très proche. Comme le sol se liquéfiait, chaque fois que nous essayions de faire un pas, nos pieds disparaissaient dans la boue. On s’enfonçait de plus en plus. La boue était chaude. On n’arrêtait pas de s’enfoncer et puis soudain on réalisait que nous marchions sur les toits de maisons ensevelies.

Et ensuite, la terre est devenue encore plus liquide. J’ai été aspirée dans la boue jusqu’à la poitrine. J’ai crié à ma fille: « Abandonne-moi ici, vas-y, ne te sens pas obligée de m’emmener, mon heure est venue, vas-y, sauve les enfants. » Mais ma fille a refusé de me laisser tomber. Elle me porte dans son cœur. Elle a appelé à l’aide. Elle a essayé de me sortir de là. Mais chaque fois qu’elle parvenait à m’extirper un peu, la boue m’aspirait encore plus loin. Enfin, un homme est venu à notre aide. Il m’a tiré d’affaire, puis il m’a porté sur son dos. Nous étions tout couverts de boue. Et ma petite-fille, Dewi (2 ans et 9 mois), elle s’est fait aspirée dans la boue jusqu’au cou. Puis au-delà du cou. Ma sœur l’a attrapée par les cheveux. Elle a tiré et l’a sortie de là.

Nous n’avons rien pu sauver de chez nous.

 

Nous avons juste attrapé le bébé et sommes partis. Nous n’avons pensé à rien d’autre. Nous avons juste couru. Finalement, nous sommes arrivés devant une mosquée. Nous étions désorientés car nous ne réalisions pas que le sol tournait en rond. On ne l’a pas senti. Quelqu’un nous a averti qu’il y aurait des répliques et qu’on ne pouvait pas rester dans le bâtiment. Donc à 3 heures du matin, nous nous sommes remis en marche. Nous avons trouvé un talus et un cousin a installé une bâche par terre. Les enfants se sont couchés dessus et se sont endormis à la belle étoile. Mais moi, je ne parvenais pas à dormir, je suis restée éveillée jusqu’au matin.

Le lendemain, nous avons appris que le séisme était tellement puissant qu’il y aurait certainement des répliques. Nous avions tellement peur.

Nous n’avions quasiment pas de nourriture, juste un petit paquet de riz et des nouilles.

 

Nous avons tenté de faire cuire les nouilles dans une bouteille d’eau en plastique. Nous avons d’abord nourri les enfants puis les personnes âgées. Cela a été une journée très difficile et très triste. Ce n’est que le lendemain matin que petit à petit l’aide nous est arrivée. Maintenant et ici dans cette tente, nous nous sentons en sécurité. Elle est assez commode mais il y fait tellement chaud. Mes petits-enfants dorment bien la nuit, ils ne pleurent pas beaucoup. Mais pendant la journée, il est impossible de se reposer.

Dewi, 2 ans et 9 mois

 

Le traumatisme est encore profond. Du coup, je ne dors toujours pas bien. Et parfois nous ressentons encore des chocs, la terre se remet à trembler. Alors, je ne parviens pas à dormir la nuit car j’ai peur. Parfois, je fais un cauchemar, je me réveille au milieu de la nuit et je n’arrive pas à me rendormir. D’autres fois, je fais la prière de minuit, puis je reste éveillée jusqu’à l’aube pour la prière du matin.

Ma fille me dit que je suis trop maigre et que je dois dormir. Et parfois, mon mari me demande pourquoi je n’arrive pas à dormir. Quand je n’y arrive pas, je nettoie la tente et je balaie à l’extérieur. Je fais le thé et je prépare de l’eau chaude pour nous laver. Je fais la vaisselle. J’essaie juste de m’occuper l’esprit pour éviter de trop penser à notre maison détruite et à tout ce qui a disparu. J’essaie plutôt de réfléchir à l’avenir, d’imaginer à quoi ressembleront nos nouveaux logements. Mais nous ne savons pas quand nous aurons un nouveau lieu pour vivre. Ce sont toutes ces choses qui me traversent la tête.

Voilà ce que nous avons traversé. Tant de personnes, tant de familles sont mortes. Je suis dévastée intérieurement quand j’y pense. Tout ce que je peux faire, c’est prier pour leurs âmes là-haut.

Dieu merci, nous avons reçu du soutien.

 

Nous avons reçu des couvertures et des bâches de la Croix-Rouge indonésienne. Ensuite, quelques ustensiles de cuisine, bouilloires, couverts et assiettes en plastique. Nous espérons avoir encore des casseroles et un poêle. Qui sait s’il y aura plus d’aide, nous attendrons patiemment. Les objets les plus importants, le tapis de sol, les nattes et les couvertures données par la Croix-Rouge indonésienne, tout y est. La communauté est tellement heureuse de recevoir cette aide.

Nurmin et sa petite-fille, Budi

 

Nous nous asseyons ensemble, on discute et on partage ce que nous avons vécu. Cela me soulage beaucoup. Parfois, lorsque nous en parlons des larmes coulent le long de nos joues avant même qu’on s’en rende compte. Nous ne pouvons pas oublier le désastre. S’il vous plaît, continuez à penser à nous, qui avons perdu nos maisons. Nous sommes très reconnaissants pour tout ce que nous avons reçu.

Interview réalisée par Kathleen Prior.
Camp de personnes déplacées de Petobo.
Les prénoms des protagonistes ont été modifiés.

PHOTO © KATHLEEN PRIOR