Nour Jarada, psychologue à Gaza : « Une mère m’a murmuré : je n’en peux plus. J’ai pensé ‘moi non plus’ »

6 novembre 2025 Gaza 12-12

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Nour Z. Jarada est psychologue pour Médecins du Monde à Gaza. Ce témoignage date de peu de temps avant le cessez-le-feu instauré en octobre. Elle décrit son quotidien de thérapeute pratiquant en temps de guerre à Gaza.

«  Depuis plus de deux ans, je vis une guerre ininterrompue. Je suis une thérapeute, une femme qui pleure ses morts, une mère qui tente de protéger ses enfants, une psychologue accablée par la guerre. Une âme brisée qui porte la douleur des autres. Je suis tout cela à la fois, sans jamais pouvoir séparer les rôles. Je soigne. Je m’effondre. Je soutiens. Je me brise. »

Depuis que nous travaillons dans les camps de déplacés, nous n’avons jamais exercé dans des conditions normales. Les hôpitaux sont bombardés, les soignants tués ou arrêtés, les cliniques, vidées, les routes coupées. Et pourtant, nous avançons. Chaque matin, nous embrassons nos enfants le cœur tremblant. Terrifiés que ce soit la dernière fois. Puis, le jour se lève. Nos séances ont lieu dans des tentes. Dans un recoin, sous un abri, au milieu des ruines.  

J’ai appris à survivre sur une terre devenue hostile à la vie. A économiser l’eau pour plusieurs jours. A vivre sans l’indispensable. J’enseigne à mes enfants la patience quand la faim les creuse.  

Chaque jour, en tant que thérapeute, j’écoute le récit de vies brisées. Mais je ne suis pas étrangère à leurs histoires. Je vis cette guerre, moi aussi. Je souffre des mêmes plaies. Un garçon de 15 ans m’a confié qu’il aurait préféré mourir avec sa famille. Mon cœur s’est brisé avec le sien. Une mère, incapable de nourrir ses enfants, m’a murmuré : «Je n’en peux plus.» En silence, j’ai pensé : «Moi non plus.» 

Nous n’exerçons pas dans le calme feutré des cabinets. Nous tentons de répandre un peu d’espoir dans des tentes bondées et des écoles éventrées. Ici, les enfants parlent des missiles comme d’autres parlent du petit-déjeuner. Avec cette étrange banalité née des horreurs auxquelles on s’habitue.  

Nous ne sommes pas seuls. Autour de moi, des collègues ont une force qui m’inspire chaque jour une profonde admiration. Chacun porte en lui une tragédie, la mort d’un proche. Et pourtant, ils continuent d’être présents. Nous tous, sans exception, avons tout perdu : nos maisons et nos rues, nos souvenirs et les êtres aimés. Pourtant, nous répondons présent.  

Parfois, les circonstances nous forcent à évacuer une clinique. Alors, la culpabilité nous envahit car nous savons combien les gens comptent sur nous.  

Ce qui empêche mon cœur de sombrer, c’est notre manière de nous relever ensemble. Dans le chaos, nous persistons à prendre soin les uns des autres. Nous sommes toujours là, et ensemble, nous guérirons ».