Abder Banoune, spécialiste au centre HI de prothèse et orthèse de Gaza, commente le cas du jeune Mohamed lors de sa première séance d’essai de prothèse.
Le cas de Mohamed : une prothèse bien ajustée
Mohamed se tient entre deux barres parallèles. La prothèse qu’il porte a été préalablement montée sur un établi. Lorsqu’il commence à marcher, l’orthoprothésiste, Heba, observe attentivement s’il faut effectuer certains ajustements sur la prothèse. Peut-être est-elle trop courte, trop longue ou mal alignée par rapport à sa démarche. Elle vérifie l’alignement et analyse sa marche afin de déterminer les ajustements nécessaires (photo d’introduction).
Si la prothèse n’est pas correctement alignée, elle peut être très inconfortable, voire douloureuse pour la personne qui l’utilise — parfois même inutilisable. Si elle est trop longue, cela peut gêner la marche : Mohamed risque de trébucher, de s’accrocher au sol ou de boiter. Il pourrait finir par ne pas vouloir l’utiliser, car cela lui demanderait trop d’effort et d’énergie pour corriger sa démarche. C’est éprouvant. Plus la prothèse est bien adaptée, plus le patient se sent à l’aise dès le premier jour.
Un nouveau schéma moteur
Il faut également vérifier la cadence de marche et s’assurer que les pas soient symétriques. On observe souvent qu’un pas est plus court que l’autre. Cela s’explique par le nouveau schéma moteur que le patient doit intégrer. Lorsqu’une personne vient d’être amputée, elle conserve parfois encore le mécanisme de marche à deux jambes. Elle peut même ressentir la présence de son ancien membre : c’est ce qu’on appelle le membre fantôme.
Le patient peut dire : « Ah, mon gros orteil me démange » ou « ma cheville me gêne », alors qu’ils ne sont plus là. Le cerveau, lui, garde encore en mémoire le schéma nerveux de l’ancien membre.
La prothèse provisoire — la première prothèse portée avant la prothèse définitive — aide beaucoup à atténuer ces sensations et à favoriser l’acceptation du membre artificiel. Vient ensuite une phase d’adaptation : il faut réapprendre à marcher, à s’asseoir, à se lever, à s’habiller… bref, à bouger différemment.
Prendre de l‘assurance
Mohamed a posé ses béquilles à côté de lui. Les barres parallèles lui servent d’appui pour faire ses premiers pas avec la prothèse : il peut s’y tenir des deux mains afin d’éviter de tomber. Il est accompagné de Bashir, le kinésithérapeute, et d’Heba, l’orthoprothésiste. L’apprentissage de la marche avec une prothèse est un travail pluridisciplinaire.
Mohamed regarde constamment le sol, par crainte de perdre l’équilibre. C’est fréquent chez les patients au début : ils ont souvent du mal à relever les yeux et à faire confiance à la prothèse.
On remarque également une sangle autour de sa taille. Lorsque le patient lève la jambe appareillée, la prothèse peut se déchausser, surtout s’il s’agit d’une prothèse provisoire. En effet, le volume du moignon n’est pas encore stable : l’œdème diminue chaque jour, parfois de quelques millimètres, et la prothèse devient alors légèrement trop grande. La ceinture sert à maintenir la prothèse bien en place. Certains patients choisissent de la garder plus longtemps, car elle leur procure un sentiment de sécurité supplémentaire, même lorsqu’ils contrôlent déjà bien leur prothèse.
Un bon équilibre
Heba observe le niveau du bassin : est-il oblique ou non ? Si un côté est plus bas d’un centimètre, c’est que la prothèse est trop courte ou trop longue. Elle commence par vérifier cela à vue d’œil, puis, si nécessaire, utilise un niveau à bulle spécialement conçu pour cet usage. À l’aide d’une clé Allen, elle procède à de fins ajustements : rotation, axe du genou, orientation du pied, etc. De nombreux petits tests sont nécessaires pour obtenir un alignement parfait.
Elle vérifie également la position du pied : le genou doit être dans l’axe antéropostérieur (c’est-à-dire dans le sens de la marche) et le pied doit présenter une légère rotation externe, d’environ 7 à 8°. Plus les pieds sont légèrement ouverts, plus la base d’appui est stable. À l’inverse, si les pieds sont parfaitement droits, le patient risque de tomber, car il perd une partie de sa capacité à se rééquilibrer.
Heba utilise aussi un fil à plomb pour contrôler l’alignement général. Le tube reliant le pied au genou doit être parfaitement vertical, à 90° par rapport au sol, aussi bien de face que de profil.
Porter sa prothèse progressivement
Au début, porter une prothèse peut être douloureux. Pour Mohamed, qui a une prothèse transfémorale (au-dessus du genou), le poids du corps — autrefois supporté par le talon et le bas du pied — repose désormais sur la partie inférieure de la fesse. Cela provoque des douleurs au début.
Mohamed porte sa prothèse une demi-heure, une heure tout au plus. Le lendemain, il reviendra et prolongera progressivement la durée. Normalement, la prothèse provisoire ne quitte pas le centre : elle est utilisée uniquement sur place, le temps des ajustements et de l’adaptation.
La vitesse d’adaptation dépend de nombreux facteurs : l’âge, la morphologie, la condition physique. Les enfants ou les jeunes adultes sportifs s’habituent généralement très vite. Pour les personnes âgées, diabétiques, arthritiques ou obèses, le processus est souvent plus long. Certaines ont aussi la peau plus sensible, ce qui complique un peu les débuts.
La rééducation en groupe aide énormément. Elle permet de dédramatiser, de créer une dynamique positive et de motiver les patients. Le fait de ne pas être seul, de voir d’autres amputés — parfois confrontés à des situations plus difficiles — apporte un vrai soutien moral et une belle énergie collective.
Pourquoi commencer avec une prothèse provisoire ?
Un patient amputé apprend toujours à marcher d’abord avec une prothèse provisoire : après une amputation, un œdème se forme puis se résorbe progressivement, sur une période de 10 à 30 jours. Le moignon diminue alors de volume, ce qui oblige à refaire régulièrement l’emboîture.
La prothèse provisoire aide à cette phase de réduction du moignon tout en permettant au patient de recommencer à marcher dès les premiers jours — parfois dès le troisième jour. C’est ce qu’on appelle la verticalisation : le patient se remet debout, ce qui aide à stabiliser sa tension artérielle, à éviter les vertiges et à prévenir un déséquilibre du bassin. En effet, après l’amputation, le corps doit se réadapter à une nouvelle répartition du poids.
Cette étape permet aussi au patient de retrouver rapidement une certaine autonomie — par exemple, pouvoir aller seul aux toilettes. Psychologiquement, cela joue un rôle très important : en reprenant confiance et indépendance, le patient progresse plus vite dans sa rééducation.
La prothèse provisoire prépare également le corps à supporter les contraintes, le poids et les pressions exercées sur de nouvelles zones, qui n’avaient auparavant pas à porter le corps. C’est donc une étape essentielle, à la fois technique, clinique et psychologique.
De quoi est faite une prothèse provisoire ?
La prothèse provisoire est constituée à environ 80 % d’éléments réutilisables pour la prothèse définitive : le pied, les connecteurs, les tubes, etc.
La seule partie véritablement provisoire est l’emboîture, c’est-à-dire la partie en contact avec le moignon. Elle peut être fabriquée en plâtre ou en bandes synthétiques imprégnées de résine, formées en moins de 30 minutes. On peut ainsi fabriquer une prothèse provisoire en environ une heure.
La prothèse définitive, quant à elle, est réalisée en résine carbone. Elle nécessite un moulage plâtré, une rectification, une stratification, puis des étapes de finition, d’apprentissage de la marche et de réglages dynamiques. Sa fabrication demande généralement deux à trois jours de travail en laboratoire.
Photos © Khalil Nateel / HI
